C’est autour de cette question que s’est articulée la 4ème conférence régionale de l’emploi territorial, organisée à Angers le 15 décembre 2015 par les 5 centres de gestion de la région Pays de la Loire. Les débats et ateliers ont été suivis par 176 personnes, élus et professionnels.
Intervenant : Rémy LE SAOUT, sociologue, maître de conférences à l’université de Nantes.
La question du recrutement dans les collectivités territoriales est un sujet très vaste. On peut l’aborder de différentes manières :
En tant que sociologue, Rémy LE SAOUT propose une approche plus centrée sur le jeu des acteurs dans les communes.
Si l’on remonte au début du XIXème siècle, on réalise que le recrutement n’est pas qu’une affaire de normes ou de statistiques mais c’est aussi le résultat de rapports de force entre différents groupes d’acteurs (Etat, élus, personnels, citoyens…) qui portent sur une tension entre laisser une grande autonomie aux élus dans les recrutements ou bien encadrer ce pouvoir discrétionnaire. Sur plus d’un siècle, on se rend compte que c’est un peu dans un entre deux : logique clientéliste et logique bureaucratique.
« Les élus gagnent en liberté d’action politique ou publique avec les lois de décentralisation (1983/1984) mais sont contraints comme employeurs. Face à une nouvelle logique de compétition régionale qui naît dans les années 90, les recrutements deviennent de plus en plus techniques et bureaucratiques au point que, dans certaines collectivités, les élus n’ont casiment plus la main sur les RH. »
Les tensions actuelles sur les budgets des communes peuvent être vues comme un phénomène qui réduit les marges de manœuvre des élus car ils sont contraints d’appliquer plus ou moins les mêmes solutions.
« Le grand débat actuel est de savoir comment organiser la maîtrise de la masse salariale alors même qu’une partie de sa progression ne relève pas du pouvoir ou de l’action des collectivités.Du fait des pressions budgétaires actuelles, les possibilités d’action et les stratégies managériales, autrement dit les libertés d’action laissées aux élus, tendent à se réduire »
Mais cette période, qui peut être pensée comme difficile, peut être vue comme une opportunité de repenser les principes de recrutement, c’est l’option optimiste de la journée.
Chiffres tirés de l’analyse croisée des données SIAPS 2013 de l’INSEE, des bilans sociaux 2013 et des données 2014 des bourses de l’emploi en région Pays de la Loire.
En 2013, les recrutements directs ont représenté une très forte part des arrivées avec plus d’une arrivée sur trois. Néanmoins, c’est en diminution par rapport à 2011. L’évolution des chiffres peut s’expliquer en partie par les sélections professionnelles. Elles ont représenté 6,7 % des recrutements.
Les recrutements suite à concours restent assez faibles dans les collectivités puisqu’ils ne représentent que 10,3 % des arrivées en 2013 (13 % en 2011). Les chiffres sont très variables d’un type de collectivité à l’autre.
Les mutations, avec 26,5 % des recrutements, représentent une part importante des arrivées et l’on voit que la mobilité des fonctionnaires fonctionne.
En 2014, 4 371 offres d’emploi ont été publiées dans la région Pays de la Loire par les cinq centres de gestion. Les communes recrutent moins, alors que les communautés ont le vent en poupe :
Certaines collectivités recrutent peu par rapport à l’effectif qu’elles représentent.
La répartition des offres d’emplois par département est également très contrastée :
Certains départements publient beaucoup d’offres sans que ce soit lié à la masse des effectifs. Un zoom sur les filières montre que la situation est extrêmement contrastée d’une collectivité à l’autre.
En 2014, plus d’une nomination sur deux a concernée les métiers de l’animation et les services à la population, conséquence de la mise en œuvre des nouveaux rythmes scolaires. L’enseignement artistique est cité 280 fois dans les offres, ce qui confirme l’effort des collectivités dans l’animation. Le métier le plus fréquent dans les offres reste celui de chargé de la propreté des locaux.
SYNTHÈSE :
TABLE RONDE : Quel recrutement pour la fonction publique territoriale dans le nouveau contexte de la réforme territoriale ?
Quels sont les freins ou les leviers de la réforme sur la gestion des ressources humaines ? Faut-il continuer de recruter ? Est-ce que la réforme favorise la mobilité ? Au cours de la table ronde, les intervenants ont analysé les conséquences de cette réforme sur le recrutement.
La loi NOTRE promulguée le 7 août 2015 est le troisième volet de la réforme territoriale. A la suite de cette réforme, le contexte territorial a fortement évolué :
La réforme territoriale est une opportunité de changements. Il faut partir d’un projet de territoire clair, bien réfléchir à l’organisation et surtout la partager avec l’ensemble du personnel et les élus.
Dans la région, en additionnant communautés de communes et communes nouvelles, 6 000 agents au moins sont concernés par la réforme territoriale. Ils vont changer d’employeur, de cadre de travail, parfois de fonctions, de métier, de localisation; d’où la nécessité de bien anticiper ces évolutions.
L’équipe qui impulse la réforme doit savoir expliquer aux citoyens et aux agents pourquoi elle le fait et ce qu’elle en attend pour le service public. Elle doit donner du sens à l’action conduite.
Il est essentiel aussi d’impliquer les agents dans la conduite du changement. Il faut croire dans leurs capacités, les écouter, les valoriser.
Avec le regroupement, les pratiques RH et les procédures de recrutement se professionnalisent : de meilleures conditions de travail, plus de moyens, davantage de possibilités d’évolution, plus de formations s’offrent aux agents. Certaines petites collectives qui avaient des difficultés à recruter deviennent plus attractives.
Les missions et les organigrammes évoluent dans les intercommunalités et les communes nouvelles. Des postes sont supprimés, notamment pour éviter des doublons, tandis que de nouveaux besoins émergent (des besoins d’expertise, de coordination, en matière de NTIC). Le regroupement offre des opportunités en interne, il est moins fait appel à l’extérieur. L’évolution des territoires à venir n’est pas propice aux recrutements.
De plus, les contraintes financières qui s’imposent aux collectivités impactent l’ensemble des agents territoriaux, parce qu’on leur demande de faire mieux avec moins, d’avoir :
car aujourd’hui les collectivités n’ont plus les moyens de recruter.
Pour autant, les collectivités restent une mine d’emplois extrêmement importante. Elles continuent à recruter car il faut faire fonctionner les services et continueront à recruter puisque les départs en retraite vont fortement progresser dans les prochaines années.
Par ailleurs, le pourcentage des cadres étant relativement faible dans les collectivités (9 % de cadres alors qu’on est à 16/17 % de cadres dans le privé), il est faut être attentif au maintien d’un niveau de compétences élevé dans les collectivités car elles en auront besoin dans l’avenir.
Au final, toutes ces évolutions interrogent sur le périmètre de l’action publique.Est-ce qu’on doit toujours rendre les mêmes missions ? Il y a sans aucun doute des choix politiques à faire.
Cette question se pose depuis des années. Le discours est en train de changer, la pression qui pèse sur les collectivités influence largement la position des uns et des autres. Les solutions ne sont pas identiques pour tous.
Il faut faire connaître les métiers de la fonction publique territoriale. C’est un des rôles essentiels des Centres de Gestion.
Des facteurs relèvent directement des collectivités. En premier lieu, l’identité de l’employeur est-elle attractive ? Pour attirer les compétences, il faut parfois savoir investir et se donner les moyens. La rémunération et l’action sociale sont des leviers souvent mis en avant. La rémunération fait cependant débat en raison des marges de manœuvre limitées des collectivités et des politiques salariales. Un environnement porteur et dynamique, les perspectives d’évolution en interne, l’approche métier, le travail en réseau sont autant d’atouts qui retiendront l’intérêt du candidat.
L’avenir peut se préparer avec l’accueil d’apprentis et de stagiaires. On constate que la rémunération des stagiaires, bien que symbolique, est devenue un frein non négligeable pour l’accueil de stagiaires.
Le retour au sens a ponctué les débats. Certes, le candidat vient chercher un emploi mais il sera d’autant plus motivé s’il trouve un sens à son travail. Il est du rôle des collectivités de valoriser l’action publique.
En résumé :
Pour attirer les bonnes compétences il convient avant tout de bien définir son besoin. La Fonction Publique Territoriale et ses métiers territoriaux restent méconnus : Il appartient au CDG mais également aux collectivités de participer aux forums métiers ; aux salons professionnels pour les faire connaitre. Communiquer sur les VALEURS et le SENS du service public est également indispensable : Un candidat vient chercher un emploi mais il sera d’autant plus motivé s’il trouve un sens à son travail. Les dynamiques de réseaux entre professionnels et entre communes sont également des pistes pour accroitre l’attractivité des collectivités en milieu rural.
Recruter, c’est un acte majeur de la gestion des ressources humaines, c’est un métier. Selon la taille de la collectivité, les expériences de recrutement sont différentes même si l’on retrouve des traits communs.
Un recrutement se décline en six étapes:
L’unique obligation réglementaire, c’est la déclaration de vacance de poste.
Les intervenants ont insisté sur plusieurs pré-requis: ne pas recruter par défaut, prendre le temps de la réflexion en amont pour le cadrage général du recrutement, la définition du besoin et l’élaboration du profil de poste. On recherche des compétences, mais avant tout c’est un profil que l’on cherche.
Les collectivités peuvent se faire accompagner dans leurs démarches que ce soit :
L’intégration sociale est un autre moyen de recruter. C’est important de donner une dignité à des personnes motivées et de les faire participer à l’action collective.
Actuellement, la mobilité interne est largement favorisée, à tel point que l’on peut se demander quel est le risque pour les organisations à trop fonctionner en autarcie ?
Décider qu’on ne remplace pas « par principe » est inapplicable. D’autant plus que c’est très compliqué de supprimer un poste si on ne redéfinit pas le périmètre d’intervention de l’action publique sinon les conditions de travail se dégradent. C’est un travail politique.
Pour éviter que ce soit un « mandat de gestion de la pénurie », il faut réinventer l’action publique. Il faut un projet politique et un projet d’administration. Une fois que l’on a posé ces fondamentaux, on peut ensuite travailler sur le fond.
A chaque départ, il convient de se réinterroger sur la nécessité du poste, sur l’évolution des missions, sur le profil de poste. Les départs à la retraite deviennent difficiles à anticiper et cela impacte la durée des tuilages.
Comment faire mieux avec moins d’argent ? Cette question concerne tous les agents, chacun doit revisiter sa façon de travailler dans une optique de travail différente. Les métiers évoluent, la polyvalence et l’adaptabilité sont des qualités recherchées. Faut-il privilégier le recrutement externe ou interne?
Le recrutement externe a un caractère aléatoire car on a moins d’éléments d’appréciation.
La mobilité interne est un outil de plus en plus utilisé et même valorisé dans les collectivités. Cela suppose de bien connaître les agents pour construire des outils de développement des compétences et repérer les potentiels.
Pour y arriver, il faut connaître le quotidien des agents et savoir leur confier des responsabilités nouvelles, il faut également savoir s’appuyer sur des compétences que les agents ont pu développer en-dehors de leur activité professionnelle.
L’entretien professionnel permet de récupérer de nombreuses informations essentielles. La mobilité interne, c’est un recrutement comme un autre, il faut avoir une démarche aussi poussée que pour un recrutement externe. C’est un gage de professionnalisation.
En résumé :
Le recrutement d’un agent extérieur à la collectivité comprend des limites : difficulté de se faire une opinion, caractère aléatoire du recrutement externe. De plus, comment se projeter sur les besoins en recrutement dans un futur proche et plus lointain ? Le recul de la date de départ, le maintien dans l’emploi complexifie l’éventuelle projection. La réflexion sur un recrutement à venir interroge également la relecture des politiques publiques. Les alternatives aux recrutements : la montée en compétences au sein de la collectivité, la question du remplacement ou du non-remplacement interroge sur les modalités d’organisation…, l’intégration de compétences manquantes (émergence de nouveaux métiers). De plus, l’apprentissage est cité non pas comme un recrutement « direct » mais il permet à un jeune de suivre une formation alternant théorie et immersion dans la vie professionnelle, avec l’objectif d’intégrer, à terme, le marché du travail. Enfin, l’ensemble des intervenants expriment, en guise de conclusion, l’importance des évolutions liées à la recomposition des territoires (terme générique et global pour parler de la mutualisation).
Plusieurs éléments sont porteurs d’une bonne dynamique de recrutement dans un environnement qui bouge :
« Dans ce mandat, dans ce contexte qui bouge et qui va continuer à bouger, on assistera à des modifications que l’on a peu vues depuis les lois de décentralisation. D’ici 2020, le paysage institutionnel territorial aura été fortement modifié. »
Philip SQUELARD